De retour en Inde, il n'y avait pas de quoi s'amuser: une pression du client pour surveiller le logiciel à 22h30, un travail non fait pendant que j'étais dans l'avion, le samedi au travail à accompagner un collègue. A peine arrivé et déjà très fatigué... Cette semaine j'ai de la compagnie: un collègue de France et un autre des US. Je peux faire un bilan de ma maîtrise du pays depuis 2 mois: je sais aller au boulot le samedi, aller au supermarché du coin, au resto du coin, je sais faire visiter la ville et rentrer en taxi. Pas trop mal en fait. Les points noirs restent la langue pour se faire comprendre en bengali... 

Au départ, il y avait un parti principal, le Congrès (INC), plutôt centre-gauche. Puis une opposition s'est formée, le BJP (Bharatiya Janata Party), plutôt droite religieuse. Il reste une constellation de petits partis, qui ont plutôt une importance locale. Un autre parti est le Parti Communiste, qui est majoritaire à Kolkata. Habitué à régner sans partage, le Congrès doit maintenant gérer des alliances à droite ou à gauche pour gouverner. Les élections indiennes présentent peu ou pas de débats politiques. Les journaux parlent des jeu d'alliances électorales mais pas des enjeux de société. C'est curieux tout de même. La position des partis est affichée sur le site internet dans un "manifeste", puis c'est aux gens de voter. Le manifeste du Congrès met en avant les problèmes d'autonomie alimentaire et surtout le problème des jeunes ; celui du  BJP parle du terrorisme et des pays ennemis. Celui du PC veut un capitalisme limité, et un sécularisme strict.

J'ai trouvé un 4e panneau SIDA (cf. Mar 1er). Et en revenant sur cette campagne de sensibilisation HIV/SIDA, je réalise que j'ai fait plein de contresens lors de mon dernier post. Cette campagne date de 2004-2007, lorsque le thème de ONUSIDA était "Femmes, Filles, HIV et SIDA", et a comme mascotte la charmante Bula-di (Bula est un prénom, -di veut dire "sœur" en Bangali), qui a les traits d'une femme au foyer standard. Elle intervient aussi à la TV et la radio et a une hotline dédiée (1097). La forme de poupée de chiffon accueillant et chaleureux est là pour contrer la peur et les idées reçues au sujet de la maladie. Cette campagne s'adresse aux couples hétérosexuels, et singulièrement aux femmes, avec des slogans directs sur la sexualité, qui reste un grand tabou de la société indienne. Aussi le panneau "fidélité" (cf. Mar 1er) s'adresse à un couple hétéro. Le panneau "s'informer" s'inscrit en fait dans une campagne plus large où Bila-di était associée à des tournois de foot à Kolkata. La campagne a remporté un grand succès populaire et fut déclinée sur de nombreux supports. 38% des adultes porteurs de HIV sont des femmes en Inde, et l'autre groupe à risque sont les migrants du Bengladesh. D'où l'importance de parler de la maladie et de faire tomber les idées reçues. La campagne a été critiquée aussi pour ses stéréotypes (la femme protectrice de la famille qui doit faire avec l'irresponsabilité des hommes).

Aujourd'hui c'est un jour de fête: c'est le "Jour Ethnique", qui correspond . au Jour de l'An du calendrier Bengali. Il est appelé "Pohela Baishakh" (1er Baishakh, qui est un nom de mois). Le calendrier Bengali est composé de 6 saisons: printemps, mousson, automne, saison sèche, hiver et été. Il y a 12 mois (lunaires) et les semaines ont 7 jours, mais les jours commencent au coucher du soleil, et non à minuit. Nous sommes en l'année 1416 dans ce calendrier: le point de départ est le 15 avril 594, sous le règne du roi Shashanka, qui unifia les royaumes de la région pour former l'Ancien Bengale (aujourd'hui redivisé en Bengale Occidental en Inde et Bengladesh). Ce calendrier est apparenté au calendrier solaire Hindou, qui dérive lui-même du Surya Siddhanta, un traité d'astronomie indienne du 3e siècle avant JC. Au travail on décide de fêter le Nouvel An: les femmes s'habillent en sari, les hommes en punjabi. Toutes les occasions sont bonnes pour faire la fête !

Passons aux choses sérieuses. Les français en général ne connaissent de l'Inde que le Taj Mahal. Qui n'est pas du tout à côté de Kolkata. Si c'est vraiment réducteur, c'est assez justifié: le Taj fut consacré en 2007 l'une des 7 nouvelles merveilles du monde et il reste un argument touristique majeur de toute l'Asie. Datant du XVIIème siècle (le siècle de Versailles) sous l'Inde musulmane, le "Palais de la Couronne" est construit par le moghol Shâh Jahân en mémoire de sa défunte épouse. Une légende tenace raconte que sur la rive opposée au fleuve au bord duquel se trouve le palais, le raj aurait voulu construire un palais symétrique: le Taj Noir. Outre que cela soit peu probable au vu des finances désastreuses qui restaient et considérant la rareté du matériau en Inde, les dernières fouilles archéologiques ont infirmé l'hypothèse. Enfin ce que l'on ne voit pas ici, c'est la phénoménale foule des solliciteurs de tous poils: le touriste est abordé tous les deux pas pour tout et n'importe quoi, à des prix sans mesures variant au centuple en quelques secondes. Tourisme tourisme...

Agra a encore d'autres merveilles à dévoiler: à côté se trouve le Fort Rouge, le palais des empereurs moghols. Avec une histoire tout aussi tragique: après s'être emparé du trône, le fils de Shâh Jahân emprisonna son père dans le fort jusqu'à sa mort, dans une tourelle dorée où le roi avait vue sur le Taj... Gigantesque, entouré d'imposantes murailles de pierres rouges et de douves autrefois remplies de crocodiles, le fort témoigne du raffinement extrême de l'empire. Dans une grande cour intérieure, on voit toutes les chambres des femmes du harem du moghol, qui aurait eu 12 femmes officielles et des milliers de concubines.

Bâti lors de l'arrivée de l'Islam en Inde, un monument principal de Delhi est Qutb Minar, le plus beau minaret de l'empire musulman. Datant du XIIème siècle (au temps des croisades), la tour est haute de 72 mètres, et est à côté de magnifiques ruines de la mosquée Quwwat-ul-Islam. La mosquée est composée d'éléments architecturaux arrachés aux temples hindous et jaïns adjacents, et témoignent de l'extraordinaire habilité des hindous, spécialistes du travail de la pierre.
A côté de la grande tour se trouve le Pilier de Fer, haute de 7 mètres. Beaucoup plus ancien (IVème siècle), c'est également à lui seul une prouesse technique pour l'époque: il faudra attendre le XIXe siècle pour que l’occident réalise des éléments en fer d’une aussi grande pureté !

Delhi offre une profusion de temples de toutes fois, anciens ou récents. Le Temple du Lotus n'a que 20 ans. Dernier opus des sept temples bahaï dans le monde, celui de Delhi étonne par son architecture en marbre blanc représentant une fleur de lotus, d’où son nom. Ici, croyants ou non, de toutes religions confondues, vous pouvez entrer dans le temple, le visiter ou méditer en silence. On vient par milliers soit pour se recueillir, soit pour admirer l’architecture unique du site composée de 27 pétales ouverts vers le ciel. Autour de ces pétales, vous trouverez neuf bassins d’eau. La religion bahaï a été fondée en Perse en 1863 par baha’ullah. Le principe même du bahaïsme est de reconnaître les prophètes de toutes les religions, dans un objectif de paix universelle. Ainsi, il y aurait un seul dieu, une seule religion, une seule humanité… Elle regroupe tout de même 7 millions de personnes.

En face se trouve le (très récent: 10 ans) temple ISKCON, plus connue sous le nom de Hare Krishna. Le temple est également syncrétique, mais plutôt d'une fusion du religieux et du commercial. Dans le complexe se trouve restaurant, petite boutique et une exposition de son et lumière sur l'hindouisme, très réussie d'ailleurs. On se croirait chez Disney. Une exposition explique avec moult pièces à conviction que le darwinisme est foutaise et que l'homme existait il y a plusieurs millions d'années, comme c'est écrit dans les Védas. La secte Hare Krishna n'a que 50 ans et vient des Etats-Unis. La caractéristique de ce mouvement est la répétition quotidienne d'un mantra : "Hare Krishna, Krishna Krishna, Hare Hare, Hare Rama, Hare Rama, Rama Rama, Hare  Hare" Ce mantra est destiné à réveiller la conscience spirituelle endormie. Les dévots doivent le répéter 1728 fois par jour, ce qui revient à égrainer seize fois un chapelet de 108 grains. Les adeptes ne prennent leurs repas qu'après l'avoir offert à Krishna. Ils sont exclusivement végétariens et ne prennent ni drogue, alcool, ni thé, ni café. Ils s'abstiennent de tout jeu de hasard et l'activité sexuelle n'a que pour seul but de procréer. Ils n'ont pas de mobilier, de voitures personnelles, de télévision, de vacances ou autres divertissements. Toute leur activité est centrée sur l'évolution spirituelle. Ce qui semble tout de même contredit par ce site de prévention des sectes. Elle regrouperait environ 1 million de croyants.

Delhi possède la plus grande mosquée de l'Inde, Jama Masjid. Elle fut bâtie par Shah Jahan, le constructeur du Taj Mahal. Entourée de deux immenses minarets de 40 mètres de haut, ce haut lieu de culte accueille près de 25 000 fidèles à l’appel du muezzin. Les trois dômes de marbre blanc au-dessus de la salle de prière sont remarquables et le portail de l’entrée très travaillé. Contrairement aux autres lieux de cultes (chrétiens, hindous), les mosquées sont des lieux ouverts et sans mobiliers, dont l'architecture simple reflète la simplicité du message divin musulman. L'ensemble reste imposant et invite au recueillement.

Je finis ma journée (express) avec un ancien temple Jaïn. Cette religion est une des plus vieilles du monde, elle est contemporaine du Bouddhisme (VIIème siècle avant JC). Il y a 4 millions de jaïnas en Inde. Le principe semble assez semblable: un prince indien quitta son palais pour chercher l'illumination, et a trouvé la voie. Le fondateur mythique serait né avant l'apparition de la civilisation de l'Indus (c'est-à-dire 2500 avant J.-C.), le jaïnisme serait donc antérieur à l'hindouisme. Les jaïnas considèrent l'Univers comme éternel, sans début et sans fin. Ils diffèrent en cela des hindous qui croient en la création et la destruction de l'Univers. Les deux croient au cycle des réincarnations (un même karma pour plusieurs corps), et du coup sont végétariens et non-violents. Les jaïnas ne vénèrent aucune divinité mais prient les sages et les saints de leur religion. Le symbole sacré des jaïnas représente la paume d'une main au milieu de laquelle se trouve une chakra, puis une svastika (symbole du cycle de la vie) surmontée de trois points (représentant les trois joyaux) et d'un demi-cercle entourant un point (représentant l'âme libéré dans la partie supérieure de l'Univers.)

Pour mon dernier week-end avant le retour en France, mes collègues m'emmènent à la mer! Kolkata est proche de la côte (164 km), mais c'est bien 5h de voiture pour faire tout ça. Les routes indiennes, c'est quelque chose... Ma première baignade dans l'océan indien m'impressionne par la chaleur de l'eau (c'est un jaccuzi) et par la force des vagues, d'ailleurs il y a plusieurs niveaux de digues. Digha, la station balnéaire de Kolkata, est surpeuplée le week-end. Le soir le long du rivage, milles boutiques vendent des petites déités en coquillage et des bijoux en toc. Très semblable à l'Europe, quoi. L'hôtel laisse par contre à désirer: les coupures d'électricité atteignent une fréquence inégalée et rendent inutile la présence de la climatisation. Les jeunes en profitent pour se faire une virée tranquille loin de la famille.